Un exemple de traitement du risque psychosocial par le CHSCT : un « pétage de plombs » en centre d’appels à France Télécom

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Risques psychosociaux : l’alibi des « motifs individuels »

Si la reconnaissance en accident du travail de toutes les atteintes à l’intégrité de la personne constitue un enjeu majeur, celle liée aux « risques psychosociaux » semble souffrir d’un handicap particulier. Les employeurs (mais aussi beaucoup de salariés et d’équipes syndicales) tendent en effet à invoquer des « motifs personnels » aux diverses manifestations d’ordre psychique, qu’il s’agisse des troubles de l’humeur, des dépressions, des suicides, ou autres, pour nier tout lien avec le travail.

Pourtant, on sait très bien que tout accident fait toujours apparaître des éléments constitutifs de « l’individu », qu’il soit d’ordre mental ou physique. Ainsi, ce n’est pas parce qu’on a identifié que le sol d’un « couloir était mouillé », qu’il « portait des semelles lisses » et qu’il « devait passer par le couloir » dans le cadre de son travail, que l’on peut être certain d’avoir réuni tous les éléments explicatifs de la « chute de plain-pied ». Quelqu’un de plus leste, par exemple, ou qui aurait marché moins vite ou fait de moins grandes enjambées (parce que moins « stressé » ?) n’aurait peut être pas glissé. Mais dans ce cas on n’a pas cherché à invoquer des « motifs personnels ». On n’a pas hésité, au contraire, à reconnaître cette chute en accident du travail et à constituer un arbre des causes afin d’envisager des actions de prévention.

Le cas de « pétages de plombs » sur les plateaux de centre d’appel

Si l’enquête en matière d’accident du travail (art. L 4612-5) ne peut être mise en œuvre du fait de l’absence de déclaration d’accident, le CHSCT peut invoquer son pouvoir « d’analyse » et « d’initiative » entrant dans le cadre de ses missions (art L 4612-2 et L 4612-3). C’est ce moyen qui a été utilisé à la suite de symptômes relevant des risques psychosociaux sur un établissement de France Télécom regroupant des plateaux d’appels téléphoniques.

Le 30 octobre 2008, un CHSCT extraordinaire d’une Unité d’assistance technique (UAT) de France Télécom est réuni à la demande de deux élus. Cette demande faisait suite à plusieurs manifestations de mal-être au travail sur deux des plateaux de l’établissement : crises de larmes, conflits de téléconseillers avec l’encadrement de proximité, plus un cas de dépression en lien avec le travail. Au cours de cette séance, le CHSCT a voté à l’unanimité une délibération actant le principe d’une commission d’enquête chargée d’analyser la situation de tension au travail (cf. annexe 1 : Vote d’une enquête par le CHSCT).

Bien qu’aucune déclaration d’accident n’ait été enregistrée, le CHSCT a donc considéré ces cas comme des accidents du travail et décidé de les traiter comme tels en utilisant la méthode de l’arbre des causes (cf. annexe 2 : Cahier des charges de la commission d’enquête et d’analyse).

Bilan de la méthode : un autre regard sur les conditions de travail

On peut sans doute regretter que ces crises de larmes, et autres manifestations de tension sur des plateaux de centre d’appels, n’aient pas fait l’objet de déclarations d’accident. Car la généralisation de la reconnaissance des risques psychosociaux par le biais des déclarations en accident du travail est un des moyens qui permettent de faire avancer le débat public sur les questions de santé au travail.

Mais il faut toutefois préciser que cette perspective, d’ordre politique, est déjà solidement ancrée par diverses jurisprudences (cf.un exemple qui a fait date en annexe 6 : Une dépression nerveuse reconnue comme un accident du travail).

Par ailleurs, une déclaration d’accident qui resterait sans suite, c’est-à-dire sans analyse des causes de l’accident, ne saurait être considérée comme une fin en soi.La méthode qui consiste à considérer les symptômes psychosociaux comme des accidents « de fait » (qu’il y ait eu ou non déclaration d’accident) comporte au moins trois grands avantages :

1°) elle permet de ne pas rester inactif et de pointer les causes organisationnelles qui incombent à l’employeur dans le cadre de son obligation de sécurité de résultats.

2°) elle permet d’ouvrir le débat sur le travail (activité, organisation et méthodes « managériales ») qui autrement serait resté sous silence

3°) elle permet de montrer, par le détail, le caractère erroné du jugement a priori attribuant une situation de mal-être au travail au seul à l’individu qui en est victime.

Cette initiative a été restituée en HMI (heures mensuelles d’information syndicale). Cela a permis de rendre légitime, aux yeux du personnel, le débat et les revendications portant sur le travail et sur ses conditions d’exercice. En faisant état des prérogatives et du pouvoir d’enquête du CHSCT, les salariés prennent conscience que l’organisation du travail n’est pas la chasse gardée de l’employeur. Ils comprennent que ce dernier a l’obligation de concevoir une organisation du travail qui préserve la santé, tant physique que mentale des salariés. Le mal être au travail n’est plus inéluctable et le débat à son sujet n’est plus tabou.

Par ailleurs, cette enquête a servi d’appui dans l’élaboration du document d’évaluation des risques (le Document Unique). Elle a contribué à l’introduction d’éléments concrets de l’activité de travail comme étant nouvelles sources de risques : les scripts, les contrôles, les objectifs individuels, les challenges, l’évaluation individuelle des performances, etc. Ces éléments figurent maintenant dans le Document Unique.

Bien sûr, il reste à continuer la bagarre sur l’essentiel : des mesures de prévention qui s’attaquent réellement à ces risques « à la source ». Cela fait partie des débats concernant la consultation du CHSCT sur le Programme annuel de prévention des risques. Si l’employeur se contentait de prendre des mesures de prévention dites « secondaires » (formations « gestion du stress » par exemple, ou « informations », ou « communications », etc.), il est évident qu’il n’aurait pas satisfait à ses obligations de prévention qui relèvent des principes généraux du code du travail (L 4121-2). Des actions judiciaires pourraient alors être envisagées.

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